• Mort de Jean Ferrat : mort d'une époque

    Photo Antoine Desilets pour le magazine La PresseCoupée du monde, c'est par le Net retrouvé que j'apprends la nouvelle : Jean Ferrat est mort.
    Et la nouvelle m'assome, m'attriste profondément car avec la fin de ce grand poète chanteur, je sens autre chose de plus douloureux au fond de moi.
    C'est la fin d'une certaine idée du Monde qui disparait.

    Avec la mort de Jean Ferrat se tait la voix d'un des derniers poètes engagés du 20ème siècle.
    Après Ferré, Brassens, Brel et Ferrat, qui reste-t-il ? Renaud ? Sa guitare s'est émoussée il y a belle lurette. Carla Bruni "viscéralement de gauche" ? Laissez-moi goleri comme dirait Cool Shenn.
    Ces hommes, poètes et résistants, à travers leur voix venaient secouer notre indifférence, botter nos culs embourgeoisés dans la torpeur quotidienne, nous rapeller que la seule richesse sur Terre est la fraternité. Avec la voix de l'Abbé Pierre, ils nous rappelaient qu'une société pour être digne doit se battre pour conserver cette dignité et la rendre aux hommes.

    Mon père écoutait Ferrat quasi en boucle et je m'en imbibais. Ce n'était pas tant ses chansons d'amour qui me fascinaient mais ces histoires d'hommes qui quittaient leurs montagnes, cette môme qui travaillait en usine à Créteil ou ces marins héroïques d'un bateau pour moi exotique, le Potemkine qui rimait avec Lénine.

    C'était l'époque où je voyais défiler sous mes fenêtres "les Renault" et "les Snecma", avec leur drapeaux rouges et cette Internationale qui rebondissait sur les murs du XVIème pour lézarder les certitudes égoistes des bourgeois.
    C'était l'époque où les ouvriers aux mains caleuses avaient le pouvoir de faire trembler les profiteurs en arrêtant de faire couler leur sueur sur les machines et d'arracher quelques miettes de justice sociale pour les générations à venir : vous et moi.

    C'était l'époque où on savait reconnaître une guerre dégueulasse qui cramait la vie au napalm, où sans Internet pour nous faire croire citoyens du monde, nous défilions par millions à travers le monde pour que les "GI go home". C'était l'époque où on se mobilisait quand on écrasait les mains de Jara dans un stade du Chili ou qu'on exécutait au garrot un prisonnier politique espagnol.

    Jean Ferrat ne fut pas pour rien dans mon adhésion aux Jeunesses communistes puis au Parti.
    Ce fut aussi l'époque des doutes, de notre autocritique et de la remise en cause d'un appareil en dérive pour s'être trop compromis avec l'horreur stalinienne. C'était l'époque du "Bilan" pour ceux qui se reconnaissaient encore dans les combats mais qui sentaient confusément que bientôt nous ne serions plus assez nombreux pour nous opposer à la déshumanisation du monde face aux chacals de la spéculation.

    Alors aujourd'hui j'ai froid au coeur de penser que Jean Ferrat est parti, déçu de ce que nous avons laissé faire.

    On se retrouvera Camarade, pour l'Internationale céleste.

    Jean Ferrat

    « Chien noir pensifLa passoire »

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  • Commentaires

    5
    Antea Profil de Antea
    Mercredi 10 Août 2011 à 16:40

    Où en sommes-nous aujourd'hui??? Au delà de toute idéologie, je ne peux que dire que l'homme est le seul à pouvoir faire un monde vivant. Mais le désire-t-il vraiment... Est-ce que l'homme sait vraiment ce qui l'attend, le voit-il, en a-t-il envie tout simplement??? Est-ce que l'homme sait encore ce que c'est d'être digne, honorable, respectable et respecté, connaît-il encore les valeurs vraies de ce monde, du monde de l'âme profonde, celle qui nous guide sur le chemin???

    Je n'en suis plus très sûre. Moi, qui les respecte encore, ces valeurs, j'aimerais bien que d'autres puissent les embrasser. Prendre le taureau par les cornes, dire non là où tout le monde dit oui, Oser dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Etre vrai dans tous les sens du terme.

    Ces vrais poètes n'avaient pas froid aux yeux, ils transcendaient leurs ideaux, Ils les portaient au plus haut de leur âme. Et ils avaient raison.

    Si tout le monde voulait se donner la main, le monde respirerait mieux, et le bonheur pourrait peut-être refaire surface.

    Nous, nous avons eu la chance de vivre une belle époque, ceux qui suivent n'en connaîtront sans doute jamais une pareille.

    Parce que nous, nous sommes encore des êtres vrais.

    Comme eux.

    Bien à toi, dans les liens du coeur

     

     

     

     

    4
    Samedi 14 Mai 2011 à 12:41

    Re coucou,
    Je lis ton article avec de grands frissons qui me parcours le corps, car j'aurai pu moi aussi écrire ces mots. Nous semblons avoir la même culture, le même amour de la justice. Et Jean Ferrat représentait si bien toutes ces choses dont manque aujourd'hui cruellement notre société, pour ne pas dire l'humanité. J'ai aussi été imbibée de Ferrat, Brel, Brassens, Barbara, et tant d'autres inégalables. Bien sûr, beaucoup ont encore des choses intelligentes à dire, et heureusement, cela nous évite de perdre tous nos espoirs.
    Un superbe article très bien écrit. Merci de me l'avoir fait partager.
    Belle journée et très heureuse d'avoir découvert cet espace !
     

    3
    EagleScream
    Lundi 17 Mai 2010 à 17:57

    Tout simplement énorme, cet article...

    Oufff... J'ai l'impression d'y lire ma propre histoire...

    Apnée...
    2
    Samedi 3 Avril 2010 à 15:19
    Mon père écoutait aussi quand j'étais petit. À 4 ans on imbibe surtout la voix et la musique, les paroles passent après...
    Aujourd'hui j'écoute encore. Son combat est remarquable et j'admire cet homme. Repose en paix.
    1
    pax fanfan
    Samedi 27 Mars 2010 à 23:39
    Cet article est trop bien écrit... Je ne peux que pleurer sur sa disparition....

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